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Chaque soir, jusqu’à la veille de son départ, Nissa vint le retrouver. Ninian n’était pas le premier amant de la jeune femme et, pour autant qu’il pût en juger, elle possédait déjà de grandes connaissances en amour. Elle l’abandonnait toujours au milieu de la nuit car elle devait se lever aux aurores pour travailler à la cuisine. Ninian se sentait honteux de la priver de sommeil mais il était incapable de résister à son désir. Ses journées se résumèrent alors à attendre ses nuits.
Il savait qu’il n’était pas amoureux d’elle et qu’il la quitterait prochainement. Il n’avait pas la moindre intention de l’épouser, n’avait même pas parlé de cette liaison à Sextus ou à Priscus. Il ne cherchait aucune excuse à son comportement. Il avait brisé ses vœux sacrés de moine et s’entêtait dans la voie de la damnation.
Lorsque Nissa le quittait, Ninian sentait l’angoisse le gagner et demeurait allongé dans le noir, incapable de fermer les yeux. Son corps épuisé ne demandait qu’à dormir mais son âme tourmentée l’en empêchait. Que restait-il du Ninian d’autrefois ? Qu’était devenue sa quête de pureté ? Sa foi ? Sa pudeur ? Chaque nuit, Ninian découvrait avec stupeur son goût pour le plaisir, son insatiable gourmandise et sa témérité. Était-il le même homme qu’un mois auparavant ? Jamais il ne se serait imaginé capable d’agir comme il le faisait. Mais avait-il jamais pensé qu’il tuerait son abbé ?
Quel était cet inconnu qui l’habitait ?
La peur d’être damné le tourmentait jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Puis il s’endormait brutalement pour se réveiller tard, l’esprit embrumé, honteux de s’apercevoir qu’il avait rêvé de Nissa.
La nuit qui précéda son départ, elle pleura et il la consola de son mieux. Il ne ressentait aucune peine, juste un peu de regret à l’idée de ne plus partager la couche de la jeune femme.
***
Ninian refusa d’être accompagné par un esclave jusqu’à Coriallo mais fut forcé d’accepter l’arme que Sextus lui offrait. Il se savait incapable de la manier cependant il n’en dit rien au vieil homme. Cela n’aurait qu’augmenté son inquiétude et il lui aurait imposé un garde du corps dont il ne voulait pas.
Lorsque le moment de se séparer arriva, au matin du vingtième jour de septembre, les trois amis se firent des adieux émus mais brefs, refusant de prolonger ces instants difficiles.
— Je vous enverrai des nouvelles dès que je serai auprès d’Azilis, leur jura Ninian. Seulement vous savez que cela peut prendre du temps.
— Je n’aurai jamais rencontré ta sœur, soupira Priscus avec regret.
— Qui sait si nous ne viendrons pas un jour vous rendre visite ? répondit Ninian. Si Arturus fait régner la paix sur la Bretagne, alors les voyages vers la Gaule redeviendront aisés.
— Puisse Dieu exaucer ce vœu, déclara Sextus. Et qu’il écarte de ta route tout danger. Nous prierons pour toi chaque jour, Ninian, afin qu’il te protège et t’accorde Sa bénédiction.
Ninian eut un sourire forcé. Pourquoi Dieu protégerait-il un pécheur tel que lui ? Néanmoins, il répondit :
— Je prierai pour vous aussi. Au revoir, que Dieu vous bénisse.
Ninian serra une dernière fois ses amis contre son cœur puis il monta en selle et s’éloigna au pas dans les rues d’Abrinca.